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Catherine Barthélémy © Cyril Chigot

Culture

Portrait de Catherine Barthélémy

« Femme, physiologiste, pédopsychiatre et provinciale, c’est ce que je suis », résume Catherine Barthélémy dont l’élection à la présidence de l’Académie nationale de médecine à Paris offre d’entrer dans l’histoire, la sienne.

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L’être de mon moulin

Jamais en deux siècles d’existence l’Académie nationale de médecine n’avait élu de femme à sa tête. Le 9 janvier dernier, journée historique, Catherine Barthélémy l’est officiellement. Dans la grande Salle des séances de l’Hôtel de la rue Bonaparte, un buste de Marie-Curie est placé face à Pasteur. Ce symbole, lourd comme du bronze, pèse toutefois moins sur les épaules que la cause d’une vie : « L’accès à une médecine d’excellence pour les enfants autistes. » Saluant les familles de ces derniers, « au cœur et au courage immense », la Présidente remercie ses pairs dont elle fut, dans ce combat, le trait d’union, déterminée à l’être plus encore au poste que, dorénavant, elle occupe.

Aux « confins » d’une vocation

« C’est dans la cour d’une école de village aux confins de la Vienne et de la Haute-Vienne que je fis mes premiers pas. » Son père instituteur, André Mareuil, « amoureux de la langue française et de sa grammaire », futur professeur des universités, se plaît à dire à sa fille qu’il est « l’auteur de ses jours » ; il le sera surtout d’un essai, écrit en 1977, alertant la communauté éducative sur l’irruption sans garde-fou des écrans là où « le professeur de français devrait être le meneur de jeu ». Il rêva que Catherine endosse ce grand costume ; elle préféra la blouse blanche. C’est un rendez-vous chez le dentiste « vers 4-5 ans » qui modifia sa trajectoire. L’épouse de ce dernier « d’origine russe, d’une beauté et d’une aisance intellectuelle extraordinaire, formée à la pédiatrie, répétait que j’étais une fille solide. Tout chez elle suscitait la sympathie, mais au sens étymologique du terme ». S’était dès lors entrouvert un autre univers pour accomplir son propre destin.
De ce jour-ci au premier plan « autisme » lancé par Simone Veil, dont Catherine Barthélémy fut l’une des artisanes au sein de l’ARAPI1, au moins pratiquera-t-elle son art – la médecine – dans la ville où était né Balzac.
Aussi vrai que sous la coupole de l’Académie on monte à la tribune par deux escaliers différents mais identiques, le père et la fille sont toutefois allés au sommet de la connaissance dans un étrange parallélisme des formes, l’un partant des imagiers de l’école, l’autre, de l’imagerie médicale. Et si « la crise de la lecture », plus que jamais d’actualité, inquiétait le premier, « l’un des sujets qu’il nous faudra porter est celui de la santé mentale des écoliers, en particulier des adolescents désemparés dans un monde de plus en plus imprévisible », annonce la seconde en ouvrant son mandat.

« Observer, regarder, voir et revoir… »

Autre destin qui influa le sien, celui d’enfants confinés dans le pavillon des femmes du service psychiatrique de l’Hôpital Bretonneau alors qu’elle était jeune étudiante : « La plupart ne parlaient pas, avaient des gestuels étranges, mais dans le regard, une intelligence… Au milieu d’eux, une petite fille atteinte du syndrome de Cloves (syndrome d’Elephant Man) portait un foulard sur la tête pour ne pas leur faire peur ; elle chantait. Il lui suffisait d’entendre une fois un air pour le reproduire avec une justesse incroyable. »
Cette visite déterminante le fut autant que le professeur qui la conduisait : le Pr Gilbert Lelord, dont les travaux seront aux « prémices de la découverte des fameux neurones miroirs, système-clef des interactions empathiques ». Fondateur de l’équipe « autisme » de l’unité INSERM 316, il lui en confiera les clés après l’avoir soutenue dans la mise au point de prometteuses Thérapies d’Échange et de Développement (TED). En « meneuse de jeux », conçus spécifiquement, elle aide l’enfant « à restaurer certaines fonctionnalités de son cerveau, comme apprendre à parler ».

De l’endroit où l’on naît

Pure coïncidence : Catherine Barthélémy est née en 1946, l’année où le « père » de l’autisme infantile, Léo Kanner, publia un livre sur « le langage métaphorique » d’enfants « inadaptés ». Trois ans plus tard, celui-ci imputerait leur état à la froideur affective de leurs mères, engendrant la théorie de la « mère réfrigérateur » que la chercheuse tourangelle contribuera à réfuter pour délivrer les femmes du poids de la culpabilité.
Révéler le nom de son village natal, Adriers, qu’elle avait tu durant son allocution inaugurale, semble hors de propos. Rattaché à l’autisme, son paysage est symbolique. Les terres sont dites « froides » ; la couverture bocageuse, tout en plis et replis, peine à les échauffer. Chaque petit pré est enclos par des écrans de végétation et c’est au prix d’un certain effort qu’ils se laissent tous regarder depuis le Signal de Prun, plus haut sommet du département. Enfin, un ruisseau a connu ici bien des moulins, dans ses méandres ; le plus documenté est le Moulin de la Folie…
Chez elle à Tours rue du Petit Pré, la chercheuse s’en remémore d’autres que son père lui avait appris à construire en l’emmenant à la pêche. « Observer, regarder, voir et revoir, se pencher sur le malade, et avant de s’en aller, le revoir encore », la devise de Bretonneau s’appliquait point par point : « Ces petits moulins réclament de la minutie, le moindre petit détail peut déséquilibrer tout le système et cela me fut très utile pour penser la maladie. » Sympathique métaphore, elle résonne avec « une justesse incroyable » dans la tête de l’enfant qui, sans présager de l’avenir, allait « bras nus même en hiver » avec, paraît-il, « énergie et détermination ».

1 Association Pour la Recherche sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations.

Texte : Benoît Piraudeau

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